Depuis plusieurs mois, j’ai tiré le signal d’alarme au sujet du projet qui vise à limiter la liberté de créer des hyperliens et qui a, lentement mais sûrement, fait son chemin dans le processus législatif européen.
La Commission européenne et les lobbys de l’édition ont accusé ceux d’entre nous qui se battent pour sauver les hyperliens d’exagérer le danger que pose l’introduction d’un droit voisin pour les éditeurs de presse.
Les hyperliens ne sont pas l’objet d’attaques, nous ont-ils assurés.
Mais il est maintenant incontestable que si, ils le sont.
Détruire le Web
Aujourd’hui, un nouveau lobby s’est jeté dans la mêlée – mais apparemment il n’avait pas eu le mémo demandant d’édulcorer la stratégie. Dans une lettre ouverte publiée dans Le Monde – placée comme il se doit derrière un accès reservé aux abonnés –, de grandes agences de presse, dont l’allemande DPA et la française AFP demandent à ce que l’extension des droits voisins aux éditeurs de presse s’applique aussi à leurs produits. Elles ne mâchent pas leurs mots dans leur description de ce qu’elles exigent de la part des politiciens :
Ils mettent à disposition des internautes le travail effectué par d’autres, les médias, en publiant librement des hyperliens vers leurs contenus. […] Il est impératif de trouver des solutions. […] Nous demandons instamment que nos gouvernements, les parlementaires européens et la commission mènent à bien ce projet de directive.
Avec cette loi, ils entendent bel et bien détruire le web.
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C’est écrit noir sur blanc : ils s’attendent à ce que cette loi détruise une des fonctionnalités essentielles du web. Pire, ils comptent là-dessus. Ils veulent interdire tout renvoi vers un de leurs articles sans leur permission. Ils veulent facturer les liens entrants.
La lettre ouverte suggère que leur préoccupation concerne principalement les liens provenant de deux sources spécifiques : les utilisateurs de Facebook ainsi que Google. Mais la loi ne fait pas de distinctions – tous les hyperliens vers des sites d’information sur le web seraient affectés de la même manière catastrophique.
Tuer l’innovation
Prof. Höppner, un professeur de droit commercial et de droit des technologies de l’information, avocat des éditeurs allemands lors d’une affaire contre Facebook et Google, a été tout aussi direct lors d’une audition au Parlement Européen la semaine dernière :
Ceci est un droit à la prohibition. C’est un droit qui permet de s’assurer qu’il n’y a pas de plateformes qui apparaissent n’importe où, n’importe quand, exploitent des contenus publiés ailleurs et basent là-dessus leur modèle commercial. Le but premier et principal est d’empêcher ces exploitations commerciales – purement et simplement, d’empêcher leur existence.
(Regardez l’enregistrement)
Cela permet de révéler l’autre but que les gros conglomérats de l’édition espèrent atteindre : de tuer la concurrence dans le secteur des actualités. Ils ne veulent pas donner aux startups la chance de payer de rançon sur les hyperliens – ils veulent les éradiquer.
Les gros éditeurs veulent retourner à l’époque à laquelle les lecteurs étaient fidèles au seul titre de presse auquel ils était abonnés. Ils veulent que la visite de leur page d’accueil soit la seule option possible pour connaître ce qu’il se passe dans le monde. Cela nécessite d’éliminer les applications et les sites qui donnent accès à ce que beaucoup de lecteurs attendent : une sélection de liens vers les articles d’une multitude de sources qui correspondent à leurs champs d’intérêt.
Les gros éditeurs contre le reste du monde
La ligne de fracture n’oppose pas les journalistes et les plateformes, comme les lobbys aiment le faire croire : c’est entre quelques très grosses maisons d’édition et le reste du monde. Les agrégateurs de contenu et les réseaux sociaux ont créé une égalité des chances qui permet à de petites structures indépendantes ou dévouées à un sujet particulier de grandir. Les lecteurs de ces sites les trouvent majoritairement via des liens sur les réseaux sociaux et les moteurs de recherche, plutôt que par une visite directe sur leur site internet.
Sans surprise, les éditeurs innovants et les startups ont pris les armes, avertissant que la loi prévue, bien qu’annoncée comme garant de la diversité des médias, finirait par accomplir exactement le contraire : une concentration des médias.
C’est une attaque directe contre le web libre et ouvert.
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Demande de permission pour les hyperliens et suppression de nouvelles façons de rester informé : Le nouveau droit voisin pour les sites d’information n’est rien de mois qu’une attaque contre le web libre et decentralisé – de concert avec le projet de forcer les plateformes en ligne à installer des machines à censurer.
Il est vrai que l’industrie des médias rencontre des problèmes financiers. Nous devons, de manière créative, repenser le financement d’un journalisme d’investigation intransigeant devenu plus nécessaire que jamais. Mais détruire le web et étouffer l’innovation est inacceptable et irait, en réalité, se retourner contre un journalisme de qualité et réduirait le pluralisme des médias.
Il existe une alternative
Le Parlement européen et le Conseil prendront bientôt une décision – entre cette loi et une alternative raisonnable. Appelée « règle de présomption », elle aiderait les éditeurs à appliquer les droits d’auteur existants sans restreindre les hyperliens.
La règle de présomption correspond à ce que la Commission européenne a toujours prétendu être l’objectif de la loi. Maintenant qu’aucun doute ne subsiste sur les intentions du lobby de l’édition – ils veulent aller beaucoup plus loin – il faut que la Commission joue carte sur table : si elle continue à militer pour le droit voisin, elle confirme qu’elle aussi veut une « taxe sur l’hyperlien ». Si l’objectif est simplement de permettre aux éditeurs d’appliquer le droit d’auteur, comme ils le proclament, alors elle devrait soutenir la règle de présomption.
Le vote crucial se déroulera au comité des affaires juridiques (JURI) (voir l’agenda ici (en anglais)). Au sein de ce comité, le groupe conservateur PPE, le porte-parole du groupe libéral ADLE et les membres français du groupe S&D soutiennent l’extension du droit d’auteur. Au Conseil, les gouvernements français, allemand, espagnol et portugais font de même.
Si vous êtes contre ce projet, la campagne SaveTheLink dispose d’un outil pour contacter vos député-e-s – de plus, diffuser cet article via des hyperliens est et restera libre et gratuit.
Dans les limites permises par la loi, l'auteur a levé tout droit d'auteur et droits voisins sur ce travail.