ill_bluete Que voyez-vous?

Ce pourrait être le début d’une réforme du droit d’auteur prenant enfin en compte les besoins des gens du 21ème siècle. 
Marcin Maj, Dziennik Interautów

Les perdants [des propositions du rapport] sont les Européens […]: ils perdent la protection de leurs propres mots et images, devenant des citoyens du monde de second rang
Andrew Orlowski, The Register

Il peut être résumé par «encore la même chose»
Amelia Andersdotter, ancienne eurodéputée du Parti Pirate

Mon projet de rapport d’évaluation de la directive européenne de 2001 sur le droit d’auteur et les droits voisins a suscité un grand intérêt avec pas moins de 100 articles de presse dans 16 pays et plus de 90 commentaires sur la plate-forme de discussion collaborative Discuto. Si vous n’êtes pas familier avec son contenu, Numerama en a rédigé un excellent résumé.

Il a reçu des déclarations de soutien d’organisations de défense des droits numériques telles que La Quadrature du NetDigitale Gesellschaft et OpenForum Europe, de groupes d’intérêt tels que Bitkom, AMEC, FIBEP ou IAB, d’auteurs tels que Cory Doctorow – et, notons-le, pour partie du groupement allemand d’artistes « Initiative Urheberrecht ».

Mes efforts envers la transparence et pour la participation citoyenne ont été largement salués. « Juncker pourrait apprendre beaucoup de cette Pirate », conclut Philipp Hacker-Walton dans le quotidien autrichien Kurier.

Cependant, nombre de fortes réactions traduisent des perceptions totalement contradictoires : je suis une « lobbyiste des marginaux »1 qui est « sur le point de faire entrer toute l’Union Européenne dans l’avenir numérique »2. J’ai écrit « le document Européen officiel le plus progressiste sur le copyright depuis la première image de chat publiée sur le web »3 et pourtant « Angela Merkel n’aurait pas pu le faire [plus favorable au copyright] si elle avait essayé »4.

Dans ce billet je vais vous présenter ces réactions et expliciter pourquoi je les trouve si disparates, il sera suivi de réponses spécifiques aux arguments soulevés dans un prochain billet.catpicture_fr

 

«Le rapport est étonnamment extrême»

« [Il] va encore plus loin … que ce que les plus pessimistes des représentants des créateurs avaient présagé »
–Isabelle Szczepanski, Electron Libre

« Propositions extrêmes »
Society of Audiovisual Artists

« Ses propositions restent prudentes, loin des cris d’orfraie de certains responsables lors de la préparation du texte. »
–Jean-Sébastien Lefebvre, Contexte

« Le projet aujourd’hui soumis par Reda est diplomatique. »
–Hendrik Kafsack, FAZ

«Le rapport ne propose rien de substantiel»

« Ses propositions pour de nouveaux droit d’auteur et droits voisins européens peuvent être résumées à «toujours plus du même» »
–Amelia Andersdotter, ancienne eurodéputée du Parti Pirate

« Après des années de déclarations vagues … il est rafraichissant de voir que ce qui est proposé semble majeur. »
–Eleonora Rosati, consultante en législation et politique du copyright

« C’est très important, parce qu’il soulève de manière claire et réfléchie la plupart des problèmes clés avec le droit d’auteur et droits voisins actuels. »
–Glyn Moody, Techdirt.com

« Se lit comme une liste de vœux du mouvement des droits numériques adapté à ce qui est faisable »
–Torsten Kleinz, Heise.de

« Reda sait pertinemment que cette révolution quasiment copernicienne rencontrera la plus forte des résistances, ce pourquoi elle propose d’abord ce qui peut avoir de raisonnables chances de succès »
–Rainer Kuhlen, professeur en sciences de l’information à l’université de Konstanz et porte-parole de l’alliance «Copyright for Education and Science » à Netzpolitik.org

«Le rapport n’est pas une étude sérieuse»

« Il ne livre ni une évaluation sérieuse et scientifique des effets de la  directive de 2001, ni une analyse juridique justifiant de modifier le cadre législatif »
CEDC

« C’est convaincant » par le « professionnalisme de la présentation », par « l’expertise complète et le courage »
–Rainer Kuhlen, professeur en sciences de l’information à l’université de Konstanz et porte-parole de l’alliance «Copyright for Education and Science » à Netzpolitik.org

«C’est anti droit d’auteur»

« C’est un projet déséquilibré, qui véhicule une idéologie anti-droit d’auteur … il n’a qu’un objectif : démanteler le droit d’auteur »
CEDC

« Il implique ce que les Pirates ont toujours fait, et c’est du vol »
–Richard Mollett, UK Publishers Association

« Julia Reda démontre que son parti politique n’a pas pour vocation de détruire le droit d’auteur.  … Un projet globalement très équilibré … principalement, il fait preuve de bon sens »
–Nicolas Gary, ActuaLitté

Alors que certains, associés au mouvement du Parti Pirate, sont vus comme fondamentalement anti-droit d’auteur, ce n’est pas le cas du rapport Reda qui propose des mesures sensées que certains dans la communauté musicale pourraient recommander sans souci.
–Chris Cooke, Complete Music Update

«Ce n’est que l’agenda du Parti Pirate»

« Ce projet de rapport d’initiative se contente de faire un copier-coller des propositions formulées ces dix dernières années par les partis pirates et les partisans d’un Internet sans règles. »
CEDC

« [Il] représente le programme du parti pirate, pas une évaluation de la mise en œuvre de la directive. »
Society of Audiovisual Artists

« Il est étonnant de voir combien la vision de Reda est façonnée par le bon sens plutôt que l’idéologie. »
–Dario d’Elia, Tom’s Hardware Italia

« Il y a peu sinon rien qui puisse être considéré comme la réalisation de nos [grandes] attentes. »
–Amelia Andersdotter, ancienne eurodéputée du Parti Pirate

«Le rapport est contre les auteurs»

« Le monde de la culture dans son ensemble déplore les propositions formulées par Julia Reda … [il] va encore plus loin dans sa proposition de diminuer les droits des auteurs que ce que les plus pessimistes des représentants des créateurs avaient présagé »
–Isabelle Szczepanski, Electron Libre

« Une grande partie du rapport reflète le point de vue selon lequel une fois que vous avez créé quelque chose, je devrais être en mesure de le prendre et faire de l’argent avec, que vous le vouliez ou pas. »
–Serena Tierney, responsable de la propriété intellectuelle au BDB Law

« [Il] prend résolument le parti des créatifs [en appelant à renforcer leur position de négociation], ce qui fait cruellement défaut dans la lettre de Juncker à Oettinger et ne peut qu’être soutenu du côté des créateurs. »
– Prof. Dr. Gerhard Pfennig, porte-parole de l’Initiative Urheberrecht

« [Certains pourraient louer le rapport] en particulier dans la communauté des artistes et compositeurs, dont Reda estime qu’elle défend les intérêts là où ils ne sont pas sur la même ligne que les entreprises détentrices de droits ou les grandes sociétés de gestion collective. »
Chris Cooke, Complete Music Update

«C’est contre la créativité dans son ensemble»

« ce rapport restera inacceptable pour tous ceux qui sont attachés à ce que la création  culturelle en Europe puisse rester ambitieuse, forte et diverse. »
CEDC

« Les propositions du rapport Reda peuvent avoir un impact positif sur la création elle-même, mais aussi sur la recherche, l’enseignement et l’accès à la culture. »
–Lionel Maurel, la Quadrature du Net

Duck/Rabbit illusion

Le cadre du rapport

Certains articles ont malheureusement mal exposé le cadre du rapport, menant à la confusion de ceux qui plaident pour une réforme plus fondamentale. Je ne présente pas ici mes idées personnelles pour la réforme du copyright ou la plate-forme de mon parti, et je ne rédige pas une nouvelle loi: je suis chargée d’une évaluation de la législation actuelle par l’ensemble du Parlement, au cours de laquelle je fais des recommandations de réforme bien fondées.

Au final, chaque mot que j’écris a besoin du soutien de la majorité au Parlement pour avoir un effet réel, c’est-à-dire d’un vote en sa faveur par au moins 375 députés non-Parti Pirate. Ce serait une grave erreur de faciliter le rejet de mes propositions en raison de désaccords idéologiques ou du fait de fausses idées sur l’agenda de mon parti.

En outre, les traités internationaux, comme la Convention de Berne limitent notre marge de manœuvre. C’est pourquoi, par exemple, je ne peux faire de proposition plus ambitieuse que la réduction à la fin de vie + 50 ans pour l’expiration du droit d’auteur, puisque la convention nous y contraint. On ne peut accélérer la réforme du droit d’auteur et des droits voisins tant que ces traités n’ont pas été renégociés.

Le triste état du débat

Dans les dernières décennies, les changements au droit d’auteur et aux droits voisins ont presque toujours favorisé les intérêts et renforcé la position des producteurs et des distributeurs.

Une étude française de la même directive par le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, a conclu, à l’opposé non seulement de mes conclusions, mais aussi de celles de la Commission dans leur rapport sur la consultation publique, que «l’idee même d’une revision du cadre juridique européen du droit d’auteur ; indépendamment de la nature des amendements apportés au texte actuel, est rejetée.». Il assimile à tort l’opinion des sociétés de gestion collective à celle de tous les artistes et n’évoque même pas les droits des utilisateurs ou les nouvelles formes de création. «Une harmonisation et une réduction de la protection du droit d’auteur n’apparaissent pas opportunes», disent-ils, proposant à la place des exigences de surveillance avec responsabilité pénale et des redevances prélevées sur les intermédiaires comme les moteurs de recherche ou les réseaux sociaux. Ceci est en accord avec les propos du commissaire Oettinger disant qu’il envisage une taxe Google.

Qu’un tel document, aussi clairement déséquilibré, puisse être présenté comme une étude indépendante illustre le triste état du débat sur la réforme du droit d’auteur et des droits voisins dans l’UE – ce que mon projet de rapport est déjà en train de changer.

Au-delà des lignes de faille

Le débat sur le droit d’auteur n’a jamais été un combat entre les pirates et les artistes.Tweet this!

Le Prof. Kuhlen a jugé que mon rapport pourrait déclencher une «révolution quasiment copernicienne dans le débat sur le copyright» – ce qui est exactement ce dont nous avons besoin.

En dépit des efforts de l’industrie pour le dépeindre ainsi, cela n’a jamais été un combat entre les pirates (ou Pirates avec un p majuscule) et les artistes, et c’est toute la société qui y perdra si nous laissons le débat s’enfermer dans cette vision. Ce qui semble troubler les observateurs est que mon projet ne s’inscrit pas dans ces vieux schémas. Pour aller plus loin, nous devons construire de nouvelles alliances et nous concentrer sur les intérêts communs comme ceux que partagent les usagers, les institutions culturelles et de nombreux créateurs.

Ce débat ne parle pas (seulement) de The Pirate Bay et Kim Dotcom, et il serait à la fois inefficace et réducteur de le renvoyer à cela.

Il parle de la réforme du droit d’auteur et des droits voisins pour bénéficier des opportunités du XXIème siècle et d’une Europe de plus en plus connectée. Il parle de stimuler, plutôt que d’entraver la révolution créative massive portée par le progrès technologique et social, en prenant en compte les nouveaux créateurs et les nouvelles modalités de création. Il parle de permettre aux institutions d’intérêt public de faire leur travail. Il parle de sauvegarder les droits fondamentaux et de permettre un accès aussi large que possible à la connaissance et la culture. Il parle d’affirmer sans équivoque que le travail du politique n’est pas de défendre des intérêts établis contre les évolutions mais de trouver en permanence un équilibre entre des intérêts en compétition pour maximiser notre bénéfice commun futur.

Ce sont ces arguments sur lesquels nous pouvons construire des alliances majoritaires et qui peuvent amener un changement réel.

Les propositions de mon rapport sont réalistes. Elles sont gagnant-gagnant. Elles ont le soutien de la majorité des gens. Elle sont urgemment nécessaires. Et au vu de l’embourbement du débat sur le droit d’auteur et les droits voisins, au vu de l’historique de l’expansion de ceux-ci à la demande d’intérêts particuliers, elles seraient en effet une révolution.

Même les révolutions de bon sens exigent un combat

Il est déjà évident qu’il faudra un rude combat pour défendre mes propositions contre l’affaiblissement de leur teneur.

Que vous préfériez une réforme allant encore plus loin ou que vous supportiez exactement mes propositions, je vous en conjure : il est temps de s’impliquer dans le débat maintenant et de faire entendre votre voix. Une seule députée ne peut réaliser le changement que vous désirez.

Il n’y aura pas de « révolution du bon sens » sans de nombreuses voix fortes s’élevant de toutes parts – y compris la vôtre.

Dans les limites permises par la loi, l'auteur a levé tout droit d'auteur et droits voisins sur ce travail.

One comment

  1. 1

    Le lien n’est pas le bon pour la citation de Glyn Moody, vous avez mis celui vers Heise.de (même erreur dans la version anglaise je crois)
    Le bon lien : https://www.techdirt.com/articles/20150120/03454429756/european-parliament-report-proposes-wide-ranging-copyright-reform-including-reduction-eu-copyright-term.shtml