Vous vous souvenez peut-être de la loi sur droits voisins en Allemagne et en Espagne, censée « taxer » Google pour chaque utilisation d’extraits d’articles dans ses résultats de recherche, et permettre aux éditeurs de journaux de profiter de revenus supplémentaires ? Vous vous souvenez peut-être que dans les deux cas, cela a été une débâcle spectaculaire pour les éditeurs et le législateur ? Pour rappel, en Allemagne, les éditeurs ont fini par signer une convention avec Google exemptant ce dernier de toute redevance, laissant au passage tous les petits intervenants du web dans une incertitude juridique considérable. En Espagne, Google News a tout simplement fermé boutique, entraînant des pertes sensibles pour les éditeurs et un nouveau élan de leur part, cette fois-ci pour demander l’abrogation de la loi.
Peut-être qu’à force d’essayer…
Chers députés français : Pas de taxe sur le partage de la culture !Tweet this!
On pourrait supposer que ces exemples suffiraient à démontrer que toute sorte de « taxe sur le partage » d’informations librement accessibles sur la toile est un anachronisme dangereux. Ce serait compter sans le législateur français.
Pas plus tard qu’hier, le sénat français a adopté un projet de loi introduisant des « dispositions applicables à la recherche et au référencement des œuvres d’art plastiques, graphiques et photographiques » (voir chapitre VI) stipulant que toute « publication d’une œuvre d’art plastique, graphique ou photographique » par des moteurs de « recherche et de référencement » nécessite un agrément préalable. Non content de proclamer haut et fort qu’en 2016, le sénat de la république française ne sait toujours pas que les moteurs de recherche ne publient rien – ceux-ci ne font que permettre de se frayer un chemin parmi les contenus de tierces personnes -, les auteurs du texte enfoncent le clou: ils imposent, premièrement, que les seuls bénéficiaires possibles soient les sociétés de gestion collective (quid des photographes et graphistes libres ? Ce ne sont pas des artistes ?) et deuxièmement, qu’à défaut d’accord dans les six mois après la prise d’effet de la loi, ce serait l’État qui déciderait de la hauteur de la rémunération due. Les grands acteurs du secteur de la culture auront donc le temps de négocier. Pour les autres, quelque soit leur raison d’être, on les mettra tous au même régime. Rappelons ici que la notion de « moteur de référencement » n’est définie nulle part. Le catalogue d’un enthousiaste sera-t-il concerné ? Uniquement s’il est doué en informatique et a automatisé certaines fonctions ? Difficile de savoir par avance, et si l’on se trompe, ça coûte cher.
À qui profite l’incompétence ?
À qui profite l’incompétence du législateur français ? Pas aux artistesTweet this!
De la même manière que la loi sur les droits voisins liés aux articles de presse n’a pas apporté un centime aux journalistes, une « taxe » sur les photographies d’art n’apportera rien aux photographes. Les avocats, eux, se frottent déjà les mains.
Et maintenant ?
Si les sénateurs obtiennent gain de cause, toute personne ou organisation référençant de l’art sur une page web, de Google à Wikipédia en passant par les Amis des Musées d’Auvergne, pourrait se trouver enjoint de payer un montant non négociable aux sociétés de gestion collectives, et ce quel que soit la nature de son activité. Le texte va maintenant être présenté à l’Assemblée pour une deuxième lecture. Il est donc temps de s’organiser pour faire comprendre à son/sa député-e l’étendue du problème. J’ai rassemblé quelques arguments contre ce type d’initiative ici. Les député-e-s européen-ne-s, pour leur part, se sont déjà plusieurs fois prononcé-e-s clairement contre le principe d’un prélèvement pour les droits voisins. De même ordre, le rapport du parlement visant à annoncer la couleur à la commission européenne sur son initiative pour un marché unique numérique ne mâche pas ses mots et « met en garde contre la création de distorsions sur le marché ou de barrières à l’entrée sur le marché des services en ligne du fait de la mise en place de nouvelles obligations de subventionnement croisé de certains modèles commerciaux anciens ». Le ton est donné. Il faut avancer vers le monde de demain et non vitrifier celui d’hier. À la France de décider si elle veut mener la marche ou traîner des pieds.
MISE À JOUR : le gouvernement s’attaque à la mauvaise idée
[16/03/2016] Le gouvernement français a réagi. En déposant un amendement visant à supprimer purement et simplement cet article de la proposition du sénat, le gouvernement rappelle que la France n’agit pas dans le vide juridique, citant la jurisprudence et la législation européenne. Cet amendement à été adopté. Ce danger est donc à présent écarté. Quels seront les suivants ?Dans les limites permises par la loi, l'auteur a levé tout droit d'auteur et droits voisins sur ce travail.