Au cours de la semaine précédente, des citoyens européens se sont exprimés haut et fort: Non à la restriction de la liberté de panorama, non aux royalties sur l’espace public.
Plus d’un demi million de personnes (et plus encore) soutiennent une pétition contre ces idées. 4 247 membres de wikipedia allemands ont signé une lettre ouverte. Au moins 11 organisations professionelles représentant les créateurs ont renoncé à la proposition.
Tout d’abord, d’où vient cette idée ?
On m’a demandé à de nombreuses reprises: au delà de l’eurodéputé Jean-Marie Cavada (qui a déposé l’amendement), qui est réellement derrière cette attaque sur les droits du public et des artistes qui travaillent dans les lieux publics ? Quel mauvais lobby a concocté ce plan et convaincu les gros groupes politiques de le voter dans mon rapport avec des arguments de gros sous ou dignes de ninja ?
Si seulement la vérité était aussi simple. Ce qui s’est réellement passé est encore plus préoccupant: Personne n’a monté une attaque spécifique sur la liberté de panorama. Un tel effort n’a pas été requis.
L’approbation de cet amendement est la conclusion logique de la position sur le droit d’auteur et les droits voisins qui prévaut au sein de la majorité de mes collègues. Tweet this!
Ils n’ont pas spécifiquement décidé de voter contre ce droit – ils ont simplement eu à l’égard de cet amendement la même attitude et les mêmes convictions qu’ils appliquent à toutes les autres questions relatives à la réforme du droit d’auteur et des droits voisins.
Lorsque les Eurodéputés de la Commission des Affaires Juridiques ont approuvé cette idée, ils ont cru être les protecteurs des artistes, protégeant les créateurs contre leur exploitation.
Alors d’où vient cet écart entre l’intention et les effets?
1) Ils ne comprennent toujours pas le décalage culturel créé par Internet
Lorsqu’ils ont voté, beaucoup de ces Eurodéputés avaient en tête des producteurs de cartes postales s’enrichissant du fruit du travail artistique des autres. Ils doivent encore saisir le changement fondamental survenu ces dernières décennies:
Prendre des photos de vacances a toujours été une activité personnelle, hors d’atteinte du droit d’auteur: Vous êtes rentré chez vous, avez fait développer vos photos et les avez placées dans un album que vous présenterez à vos proches. Ces photos n’étaient pas l’affaire d’un avocat. Mais maintenant, le moyen de conserver ce genre d’expérience implique la mise à disposition de son travail créatif – lequel comporte probablement des éléments du travail d’autres personnes – disponible publiquement sur Internet, en utilisant un service commercial.
Le droit d’auteur et les droits voisins s’appliquent à tous, en limitant les activités qui portent préjudice aux créateurs. Tweet this!
Soudainement, les lois qui ne s’appliquaient qu’à quelques personnes pouvant imprimer ou presser des disques à des fins lucratives s’appliquent aujourd’hui à tous et menacent des activités de tous les jours qui ne causent pas de préjudice aux titulaires de droits.
Mais plutôt que d’ajuster ces lois pour les rapprocher encore de leur but, les politiciens proclament à l’envi que « nous ne devons pas affaiblir la protection des artistes » (ou leurs successions, étant donné que le droit d’auteur et les droits voisins perdurent pendant 70 ans après la mort de l’auteur) tout en faisant des autres personnes – incluant la génération suivante de créateurs – des criminels.
2) Les entreprises de l’internet sont forcément le mal
Une chose que certains remarquent à propos du web est que: les entreprises d’Internet basées à l’étranger semblent riches, alors que « nos » artistes sont – en moyenne – aussi pauvres qu’ils l’ont été au cours de l’histoire. Aha! Faisons simplement payer les services internet à chaque fois que le comportement moderne des gens se confronte aux lois du siècle dernier. Plusieurs amendements validés de mon rapport reflètent cette conviction que les services en ligne sont des parasites étrangers suçant le sang de notre précieuse culture.
Mais il n’y a pourtant pas de lien de causalité entre ces faits: le business modèles de Facebook ou d’Instagram ne consiste pas à prendre les photos mises en ligne par leurs utilisateurs et de devenir riches en vendant des impressions volant ainsi leurs revenus … aux architectes des bâtiments y figurant (?!). Ils jouent le rôle qu’endossaient auparavant un développeur de photos ou un fabriquant d’album photo – mais en fournissant ce service basé sur de la publicité, ils ont trouvé le moyen d’être payé non seulement une fois, mais continuellement. Leur service est cependant proche d’une infrastructure à l’objectif général: Ils ne « profitent » pas plus « injustement des œuvres des architectes » que les entreprises d’électricité apportant l’énergie nécessaire tant à leurs parcs de serveurs qu’aux chargeurs des appareils photo de leurs utilisateurs .
3) Utilisateurs contre auteurs: un combat!?
L’accusation qui m’a été le plus communément lancée est que mon projet de rapport se situait du côté des utilisateurs, et devait donc automatiquement attaquer les intérêts des artistes – ce qui est une fausse dichotomie.
Pour tenter d’atténuer cela, les eurodéputés ont déposé des dizaines d’amendements saupoudrant de manière indistincte des phrases comme « tout en assurant la juste rémunération des auteurs » sur mes propositions « visant à rétablir l’équilibre ».
En conséquence, ils ont fini par recommander de fixer un prix pour les droits fondamentaux comme la liberté de la presse (le rapport indique maintenant que les artistes doivent être rémunérés en contrepartie de cette liberté) – ou, dans le cas qui nous occupe, de restreindre les droits des photographes et vidéastes qui travaillent dans les espaces publics.
De la même manière, la majorité des eurodéputés ont refusé de citer dans le rapport les conclusions du rapporteur spécial des Nations Unies dans le domaine des droits culturels, qui a indiqué à la Commission des Affaires Juridiques le mois dernier que, loin d’être une attaque contre les moyens de subsistance des auteurs, les exceptions et limitations au droit d’auteur et aux droits voisins jouent en réalité un rôle vital en garantissant les droits humains, en particulier le droit à la protection de la notion d’auteur. Son appel est tombé dans l’oreille d’un sourd.
« Protéger les artistes », ce n’est pas seulement verrouiller les créations passées, mais aussi permettre les nouvelles. Tweet this!
Il n’y a pas de majorité au Parlement pour dire que les droits d’interagir avec les œuvres existantes sont également catalyseurs de création, et que « protéger les artistes » ne signifie pas seulement cadenasser les œuvres de ceux qui détiennent des contrats d’édition, mais aussi, crucialement, permettant au réalisateur de film de documenter l’espace public et aux jeunes youtubers d’expérimenter les mashups. (La Commission des Affaires Juridiques a rejeté ma proposition d’étendre les droits de citation pour les blogueurs et podcasteurs vidéo à traveur l’Europe.)
En effet, les législateurs se mettent entièrement du coté de l’art existant, fait par le petit nombre de chanceux profitant du business model d’hier, au détriment du nouveau et de l’indépendant qui profitent de la technologie et de la connectivité permettant à de nombreuses personnes de créer et partager.
Imaginez combien il doit être déroutant pour eux que 500 000 créateurs aient soudainent été du côté de ma proposition lors de leur tentative de les protéger de moi. Je peux seulement espérer que cela sera le déclencheur qui leur fera reconsidérer cette fausse dichotomie, à ceux qui profitent du statu quo en en faisant l’inlassable promotion.
L’opposition monte au créneau
Avec leur vote pour restreindre la liberté de panorama, les Eurodéputés ont un peu trop appliqué leur vision passéiste du monde.
L’institut Royal des Architectes Britanniques – représentant les possibles futurs bénéficiaires de la proposition ont été les premiers à dénoncer le projet : « Merci, mais non merci ! » – ils soutiennent la vaste liberté de panorama qui existe actuellement au Royaume-Uni.
Un nombre important d’organisations professionnelles de « créateurs » de toute l’Europe ont eux aussi rejeté la proposition :
- DJV, le syndicat Allemand des journalistes
- DJU, journalists inside the German ver.di services trade union
- L’Institut des journalistes diplomés de Grande-Bretagne
- AG DOK, German association of independent documentary filmmakers
- Le conseil Britannique de la photographie
- L’association des photographes de presse Britanniques
- L’institut Britannique des Photographes Professionnels
- Le bureau des Photographes Freelances
- CV, une guilde de commerce Allemande de photographes professionnels
- Freelens, une association Allemande de photographes professionnels
- Sindicat de la image, l’union professionnelle Catalane des photographes professionnels et de l’industrie audiovisuelle
- BVPA, l’association nationale Allemande des professionnels de la fourniture d’image
Avec tout ce tollé général, il n’a pas fallu longtemps pour que des fissures apparaissent dans l’unité de chacun des groupes politiques la soutienne:
Les Socialistes et Démocrates – le second groupe parlementaire – fait partie de ceux qui ont approuvé l’amendement en Commission des Affaires Juridique. Pourtant 9 jours plus tard, les Eurodéputés du Royaume-Uni appelait cette proposition « une mauvaise proposition » dont « les Eurodéputés du Labour s’assurent qu’elle soit rejetée ». Ce plan a reçu le soutien de la Socialiste et Démocrate Autrichienne Evelyn Regner.
Les conservateurs allemands du CSU ont envoyé une déclaration de leur groupe de réflexion sur internet, indiquant que la proposition – votée par leurs collègues du PPE – était une « pure absurdité« . Köstinger, membre autrichien du PPE a également exprimé sa désapprobation.
Dans le groupe libérale ADLE, les collègues allemands de Cadava du FDP ont lancé une campagne de soutien à ma proposition initiale sur l’idée du porte-parole de leur propre groupe. Et ils ne mâchent pas leurs morts : « la bureaucratie accro à Bruxelles a fait éclore une nouvelle idée de cinglé » ont-ils plaisanté.
Seul Cavada et les sociétés de gestion collective campent sur leurs positions
Jean-Marie Cavada, la personne responsable de toute cela, a précisé son intention droit dans ses bottes : les utilisateurs ne sont pas visés, professe-t-il sur son blog – mais les plateformes internet doivent certainement payer. Quelles plateformes internet ? Et bien, par exemple Wikipedia, qu’il a appelé « un monopole américain » et qui est décrit comme agissant au « détriment de l’ensemble du secteur culturel européen ».
Les sociétés de gestions collectives GESAC et EVA, dans un même temps, font circuler un flyer plein de fausses déclarations demandant que les eurodéputés suivent l’attaque sur la liberté de panorama lors de la plénière du 9 juillet. Ce sont ces organisations qui non seulement partagent mais alimentent la vision du monde détaillée ci-dessus. Wikipedia a mis en œuvre une démistifcation appronfondie de leurs revendications.
Ne blamez pas l’UE pour vos eurodéputés
Des centaines de journalistes ont écrit sur la liberté de panorama la semaine dernière, et l’information continue de se propager. Il est important que le public européen soit informé des plans débattus au niveau de l’UE – même si ce ne sont pas encore des projets de textes législatifs, c’est un fait qui a été malheuresement trop souvent mal compris ou mal représenté.
Mais il y a eu aussi la presse de caniveau et les populistes d’extrème-droite qui ont sauté sur cette opportunité de critiquer l’Union Européenne. Je veux être très claire : cette idée a éclos via des représentants élus par le peuple. Aucun bureaucrate de l’ombre n’a été impliqué. Si vous voulez éviter des situations comme celle-ci, élisez de meilleurs représentants – et restez impliqués. Nous ne devons pas permettre aux partis nationalistes de faire porter le blâme à un homme de paille Européen pour leurs propres décisions impopulaires (ou leurs erreurs).
Nous avons besoin de l’intégration Européenne en matière de droit d’auteur et de droits voisins – pas uniquement basée sur les modèles d’hier.Tweet this!
Avoir 28 régimes de droit d’auteur et droits voisins sur un seul continent – un état de fait défendu par de nombreux députés dans leurs amendements sur mon rapport – est une idée destinée à finir dans la poubelle de l’histoire. Le Web ne connait pas de frontières. Nous avons besoin d’intégration et d’harmonisation concernant les droits d’auteur et droits voisins et autres questions concernant Internet. Nous ne pouvons plus nous baser sur les modèles du 20ème siècle.
Mais laissez moi finir sur une note positive:
Merci à tous pour vos efforts importants, je suis convaincue que nous serons en mesure d’éliminer l’idée d’une restriction de la liberté de panorama du rapport le 9 juillet.
J’aurais souhaité pouvoir en dire de même de l’idée présente derrière.
Dans les limites permises par la loi, l'auteur a levé tout droit d'auteur et droits voisins sur ce travail.