Les députés européens français se distinguent de leurs collègues européens sur la question du droit d’auteur par leur ralliement pour le non changement. J’espère néanmoins pouvoir continuer la discussion avec eux pour expliquer davantage mes propositions mais aussi écouter leurs arguments, pour comprendre de quoi ils ont si peur. La traduction en français de mon document « Le rapport Reda expliqué » devrait faciliter cet échange, espérons-le.
A la lecture du déluge d’amendements (consultez les analyses de April et Neil Jomunsi) déposés en commission des affaires juridiques (JURI), cette distinction des élus français est une nouvelle fois caractéristique. Monsieur Jean-Marie Cavada , député du groupe Alliance des Démocrates et des Libéraux pour l’Europe (ADLE) – anciennement élu du groupe du Parti Populaire Européen (PPE) lors de la précédente législature – et rapporteur fictif sur mon projet de rapport, semble jouer un rôle central dans ce mouvement anti-réforme. J’aimerais énumérer ici ce que je trouve le plus frappant.
Les défenseurs du statu quo
Pour ceux qui veulent que rien ne change, le passé, le présent et l’avenir sont conjugués selon une étrange concordance des temps. Non seulement c’était mieux avant, mais le passé conviendrait au présent… et à l’avenir.
mon rapport | Amendement 167 (Jean-Marie Cavada) |
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– | 2 bis. Note que les secteurs créatifs et culturels, représentés par les auteurs, interprètes, éditeurs, producteurs, diffuseurs, sociétés de gestion collective et autres ayants droit ainsi que la plupart des États membres s’accordent à considérer que le cadre juridique actuel est adapté et suffisamment souple pour répondre durablement à la demande relative au contenu disponible en ligne dans l’ensemble des États membres; |
Refuser de voir les problèmes constatés, ignorer la demande actuelle et prétendre que cette dernière serait satisfaite à l’avenir : c’est une politique de l’autruche mais surtout le refus d’assumer ses responsabilités de législateur.
Les utilisateurs à la trappe
Alors que la Commission a elle-même constaté la participation des utilisateurs et consommateurs à la consultation qu’elle a menée sur la réforme du droit d’auteur (rapport de la Commission présentant les réponses à la consultation publique sur la révision des règles de l’UE en matière de droit d’auteur, juillet 2014, p. 5), mon projet de rapport ne fait que reprendre ce constat. Étonnamment, pas moins de treize amendements proposent de supprimer toute référence à la participation des utilisateurs à cette consultation. Pourquoi le fait de nommer cette catégorie de personnes intéressées dérange-t-elle à ce point ? Madame Comodini, qui est rapporteure fictive en commission JURI pour le groupe PPE, rejoint Monsieur Cavada sur cette ligne :
MON RAPPORT | AMENDEMENT 1467 (JEAN-MARIE CAVADA et autres) |
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1. salue l’initiative de la Commission d’organiser une consultation sur le droit d’auteur, laquelle a suscité un vif intérêt de la part de la société civile en rassemblant plus de 9 500 réponses, dont 58,7 % provenaient d’utilisateurs finaux; | 1. salue l’initiative de la Commission d’organiser une consultation sur le droit d’auteur, laquelle a suscité un vif intérêt de la part de toutes les parties intéressées; |
Où sont passés les défenseurs des créateurs ?
Alors que mon projet de rapport propose une meilleure protection des créateurs dans leurs relations contractuelles vis-à-vis des exploitants et intermédiaires, ce qui m’a valu le soutien de représentants des auteurs, je m’étonne de voir que certains députés prétendant défendre la culture voudraient supprimer cette proposition, à l’instar de Madame Rozière, rejointe par sa collègue luxembourgeoise du Groupe de l’Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates :
MON RAPPORT | AMENDEMENT 193 (Virginie Rozière, Mady Delvaux) |
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3. souligne la nécessité d’offrir aux auteurs et aux interprètes ou exécutants une protection juridique en ce qui concerne leur travail créatif et artistique; reconnaît le rôle des producteurs et des éditeurs dans la commercialisation des œuvres, comme la nécessité de garantir une rémunération appropriée à toutes les catégories de titulaires de droits; demande d’améliorer la position contractuelle des auteurs, interprètes ou exécutants par rapport aux autres titulaires de droits et intermédiaires; | 3. souligne la nécessité d’offrir aux auteurs et aux interprètes ou exécutants une protection juridique en ce qui concerne leur travail créatif et artistique; reconnaît le rôle des producteurs et des éditeurs dans la commercialisation des œuvres, comme la nécessité de garantir une compensation équitable à toutes les catégories de titulaires de droits; demande aux États membres d’examiner les mesures concrètes qui permettraient de garantir une rémunération équitable aux auteurs, interprètes ou exécutants; |
Parmi les députés européens français ayant déposé des amendements, seul Pascal Durand, élu du groupe des Verts/Alliance libre européenne, a compris que les créateurs méritent le renforcement de leur position contractuelle (amendement 187).
J’ai reçu des témoignages d’auteurs me rejoignant sur ce point, notamment de la part d’organisations représentant les auteurs en Allemagne (Initiative Urheberrecht) ou au niveau européen (European Writers Council). Pourtant, la présidente de la société française SGDL, également écrivain, bien qu’elle exprime cette même proposition avec ses mots, ne semble pas avoir bien lu mon projet de rapport.
Circulez, ‘y a rien à voir
Il faudrait se satisfaire de ce que nous avons, même si nous ne pouvons pas accéder à certaines oeuvres partout en Europe.
MON RAPPORT | AMENDEMENT 156 (JEAN-MARIE CAVADA) |
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2. constate avec inquiétude que la grande majorité des utilisateurs finaux interrogés déclarent rencontrer des problèmes lorsqu’ils tentent d’accéder aux service en ligne dans l’ensemble des États membres, en particulier là où des mesures de protection technologiques sont utilisées pour appliquer des restrictions territoriales; | 2.constate avec intérêt l’augmentation de la disponibilité de l’offre légale pour les consommateurs depuis la mise en œuvre de la directive 2001/29/CE; |
Monsieur Cavada est rejoint sur cette idée par des députés du PPE, dont les deux français Constance Le Grip et Marc Joulaud, et la députée allemande Sabine Verheyen (amendement 157).
Les porte-paroles des industriels de la culture
Pour certains députés, le législateur européen n’aurait aucun rôle à jouer puisque l’industrie culturelle se chargerait déjà très bien de cultiver les consommateurs.
MON RAPPORT | AMENDEMENT 131 (JEAN-MARIE CAVADA) |
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– | E quinquies. Considérant que la mise en oeuvre de la Directive a permis le développement de nombreux services créatifs en ligne, et que les consommateurs n’ont jamais pu avoir accès à une gamme aussi étendue d’oeuvres créatives et culturelles, forte de plus de 3000 services en ligne audiovisuels à la demande, de 2 millions de titres disponibles en format e-book, de 230 services de musique numérique et de 43 millions de titres musicaux sous licence; |
L’équilibre entre droits et exceptions : une théorie dénuée de pratique et de sens
L’une des principales propositions de mon projet (paragraphe 11) de rapport est de rendre obligatoires les exceptions actuellement listées comme optionnelles par la Directive InfoSoc. Il en va de la sécurité juridique de tous à travers l’Europe. Une grande majorité d’amendements suppriment cette proposition ou la vident de son sens.
Par ailleurs, ma proposition pour une « norme ouverte » (paragraphe 13) n’est pas équivalente au « fair use » américain, comme certains voudraient le laisser croire. Le système juridique américain est différent. Une « norme ouverte » européenne aurait l’avantage de permettre la flexibilité nécessaire des exceptions dans le temps, pour y inclure des usages qui n’auraient pas pu être prévus par le législateur dans une époque où l’évolution technique est très rapide. Ou alors voulons-nous réviser le droit d’auteur tous les ans ou, encore mieux, passer à côté des opportunités techniques ? Cette flexibilité se ferait selon la décision du juge, dans le respect des principes internationaux auquel nous sommes soumis, comme la règle du « test en trois étapes ». Cette proposition pour une « norme ouverte » est supprimée par de nombreux amendements, dont l’amendement n° 370 de Virginie Rozière ou n° 373 de Constance Le Grip, Marc Joulaud et Sabine Verheyen.
Alors que l’exercice des exceptions entravé par les mesures techniques est une question soumise aux tribunaux depuis des années, sa mention est tout simplement supprimée par certains (amendements n° 529 de Constance Le Grip et n° 530 de Virginie Rozière). De façon alternative, Monsieur Cavada (amendement 533) pense qu’il n’y a pas de problème puisque la Directive InfoSoc dit avoir tout prévu (vous aviez bien dit « évaluer » la mise en oeuvre de la Directive InfoSoc ? …).
Un manque de compréhension des véritables enjeux sociétaux
A titre d’exemple, le besoin de permettre la fouille de textes et de données (« text and data mining ») est une évidence, particulièrement au regard des besoins d’avancée de la recherche scientifique européenne. Affirmer que les licences sont la solution est la preuve d’une incompréhension de la dimension des enjeux de notre société, en les abandonnant aux intérêts du marché sans y inclure l’intérêt public.
MON RAPPORT | AMENDEMENT 441 (Constance Le Grip, Marc Joulaud, Sabine Verheyen) |
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18. souligne la nécessité de permettre des techniques analytiques automatisées des textes et des données (par exemple la «fouille de textes et de données») à toutes les fins, pour autant que la permission de lire l’œuvre ait été acquise; | 18. encourage les solutions telles que le modèle de licences en ce qui concerne la fouille de textes et de données à des fins de recherche scientifique; |
Le hors-sujet
Alors que certains reprochent à mon projet de rapport de jouer un rôle qu’il n’est pas censé remplir, à savoir faire une étude d’impact sans inviter la Commission européenne à légiférer, les mêmes voudraient que mon rapport dévie encore plus de sa mission. Rappelons que le rôle de ce rapport – de nature non-législative – est d’évaluer la mise en oeuvre de la Directive InfoSoc, en identifiant des problèmes constatés et en invitant la Commission à les prendre en compte lorsqu’elle prendra l’initiative législative.
En particulier, certains tentent de détourner l’attention du vrai sujet – la protection par le droit d’auteur et son périmètre à l’ère numérique – en demandant de mettre l’accent sur une autre question, la mise en oeuvre des droits. Ce détournement s’opère en demandant non plus l’évaluation de la Directive InfoSoc – qui est rappelons-le le sujet du rapport – mais une autre Directive, celle sur le commerce électronique, tout en saisissant l’occasion pour transformer le débat en une discussion sur la participation financière de Google et acteurs apparentés.
MON RAPPORT | AMENDEMENT 121 (Virginie Rozière) |
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– | 1 ter. Rappelle que les technologies numériques ont redéfini la chaîne de valeur dans l’économie de la culture, au détriment des auteurs, interprètes ou producteurs d’œuvres protégées, et en faveur des prestataires de services de communication en ligne; souligne que le droit d’auteur ne doit pas être appréhendé comme la seule solution pour lutter contre ce phénomène; invite dès lors la Commission à envisager la révision de la directive e-commerce, notamment ses articles 12 à 15; |
J’ignore dans quelle mesure le gouvernement français exerce son influence au sein de l’institution parlementaire européenne, mais elle me semble d’ores et déjà palpable. Cela ne me semble pas très respectueux de la séparation des pouvoirs, qui devrait être tout aussi valable à Bruxelles, surtout lorsque leur confusion sert les intérêts privés au détriment de ceux du public. Le Parlement est un organe législatif, représentant des citoyens, et ne devrait pas être, me semble-t-il, un doublon du Conseil européen.
Dans les limites permises par la loi, l'auteur a levé tout droit d'auteur et droits voisins sur ce travail.
Merci de ce document en français qui clarifie très bien les opinions.
Thanks for this document in french, the differents opinions are clear.
DANKE !
Merci Julia, merci pour cette transparence, merci d’avoir encore un idéal de « faire bouger les choses », nous sommes nombreux mais nos élus refusent de nous écouter, de nous entendre et de faire passer notre message.
Rien de plus à dire ! Continuez comme ça tant que vous pourrez, seuls les utopistes font changer ce monde.
amicalement,
Éric
Sorry, my comment in French :-).
A propos de deux droits réels : The first sale TFSD (culture américaine du copyright) et Le Droit de Suite ou RTF (culture européenne du droit d’auteur). Leur extension avec le numérique est-il possible ? En résumé, en ce qui concerne le TFSD, les USA l’ont étendu sauf pour la location ce qui revient à mettre en place un système de vente d’occasion de biens numériques : Amazon et Apple ont déposé des brevets dans ce sens. Mais peut-on parler d’achat de biens numériques d’occasion ? Sans doute pas en principe, la copie étant à l’identique! En ce qui concerne le RTF, son extension numérique présente la même difficulté. Si ces droits réels étaient étendus à la location (ou au droit d’usage), alors le TFSD revient à exclure les Auteurs ou Créateurs du circuit de la distribution et de ses revenus, en clair à conserver les filières intermédiaires à leur seul profit. Par contre, l’extension du RTF en y incluant la location ou la vente de droits d’usage d’un bien numérique, alors l’Auteur ou Créateur aurait ses intérêts préservés amis les intermédiaires y seraient potentiellement exclus. D’où leur farouche opposition. Seuls resteraient les acteurs de marketing numérique (maximisation de la viralité : réseaux sociaux, blogueurs, prescripteurs… ) et les systèmes de micro-paiement. Les consommateurs pourraient revendre eux-mêmes : la distribution serait faite par les internautes eux-mêmes, ce qui est le futur inéluctable des modèles de monétisation sur Interne! en lieu et place des « hypermarchés » WEB. Techniquement il existe des solutions (purement Internet et non WEB) de protection conviviale, transparente et anonyme pour ce RTF de droits d’usage de biens numériques. Et c’est sans doute pour l’Europe, qui a la culture du Droit d’auteur, la seule manière de se défendre du lobby américain (copyright) qui cherche à imposer le TFSD numérique en Europe et reste du monde. C’est ce seul concept du RTF numérique qui peut protéger aussi bien les intérêts des Auteurs ou Créateurs que ceux des consommateurs, intérêt pour la diversité culturelle et intérêt pour la rémunération du travail (création et distribution).
Bien cordialement
Alain Rosset
Il y a aussi l’exception culturelle états-unienne: le « copyright renewed » comme Popeye: Popeye est toujours sous copyright aux Etats-Unis, mais il ne l’est plus en Europe, par exemple.
Bonjour,
je suis ingénieur français, j’ai 41 ans, deux enfants, je suis fin connaisseur des logiciels libres et amoureux de l’Europe et vous avez tout mon soutien.
Merci.